« Elle referme derrière elle la porte du compartiment dans l’espoir de ne pas être dérangée, de faire seule le voyage. Elle ôte son manteau, le plie soigneusement, le pose près d’elle. Elle s’assoit près de la fenêtre. Elle tire de son sac le livre commencé la veille, l’ouvre et se met à lire. Le train est presque vide, il n’y pas d’affluence sur les quais. Pas de places réservées dans ce compartiment. Elle a vérifié avant d’entrer. Elle se laisse peu à peu absorber par sa lecture, à peine consciente que le train est toujours en gare. Elle sursaute au bruit de la porte qui s’ouvre doucement. Elle lève les yeux. Un homme vient d’entrer. Il jette à peine un regard sur elle. Il ne la salue pas. Il referme la porte derrière lui. Il s’assoit sur le siège en face d’elle, près de la fenêtre. C’est un homme d’une soixantaine d’années, costume de lainage sombre, chemise grise au col entrouvert, cheveux blancs soigneusement coupés et séparés par une raie, yeux très clairs, visage aux traits marqués, parcouru d’un réseau de fines craquelures, gestes encore vifs cependant. » M.B
Un train aujourd’hui, quelque part en France. Un vieil homme, français, une femme —la narratrice—, algérienne, et Marie, une jolie jeune fille. La narratrice est plongée dans un livre, dont la lecture va permettre le déclic : elle retrouve là le souvenir de son père tombé sous la torture en 57. Le récit de Maïssa Bey —il lui aura fallu deux ans pour traduire en mots cette part muette de sa vie— est splendide dans sa sobriété, la force de son évocation et l’absence inouïe de haine. Une leçon magistrale, qui la confirme dans son rôle d’écrivain et met en avant son souci constant d’humanité.
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