Les Chemins qui montent de Mouloud Feraoun n’est pas uniquement un roman d’amour, même si sur le plan de la trame, il ne s’agit que d’une passion, certes vigoureuse entre Dahbia et Amer mais absurde et carrément invivable pour une multitude de raisons.
Feraoun a choisi de débuter son récit par la fin : l’amoureux meurt quand Dahbia se lance dans la narration de ses sentiments et de ses contradictions. Il ne s’agit pas comme nous avons souvent l’habitude de le lire, d’une idylle qui commence de fort belle manière pour ensuite finir par tomber dans les serres des aléas imprévisibles de la vie avec l’assurance d’un épilogue souvent malheureux et parfois heureux.
Dans L’Adieu aux armes de Ernest Hemingway, la femme aimée périt à la fin en plein accouchement mais elle ne trépasse qu’une fois l’amour vécu. Dans L’amour au temps du Choléra de Garcia Marquez Gabriel, la femme aimée troque son mari contre un richissime médecin. L’amant ne désespère pas. Il attend toute une vie et à la mort du mari, il part rejoindre son aimée afin de vivre la poignée de jours qui lui reste et mourir en sa compagnie. Dans Les chemins qui montent, Dahbia et Amer s’aiment de manière insolite. Le contexte de la Kabylie de l’époque (rencontres à la sauvette aux alentours de la fontaine) fait l’originalité de ce roman, qui est réédité chaque année tant en Kabylie, par diverses maisons d’édition qu’en France par Le Seuil. Si les mots utilisés par Feraoun sont simples, ce n’est vraiment pas le cas des idées exprimées.
Les chemins qui montent est un roman profond et complexe. Et c’est en ceci que réside le génie de l’auteur. Le choix des personnages : d’abord Dahbia. Cette dernière n’est pas une femme kabyle comme il y en avait des milliers à l’époque. Dahbia, originaire d’Ighil N’ezman est de foi chrétienne. Personnage complexe ayant subi un traumatisme dans son enfance le jour où son père lui révèle brutalement ne pas être son vrai père. Elle avait neuf ans et était grièvement malade.
“Petite vermine, tu peux crever, tu n’es pas ma fille !”
Dahbia a une sensibilité hors du commun. Ce n’est pas un hasard si elle tombe amoureuse du fils de Madame. Amer est de père kabyle et de mère française. Dahbia ne le comprend jamais. Elle n’explique pas son sens du sacrifice, son rejet de l’égoïsme et son dévouement total envers les pauvres et les malheureux : “Pourquoi passe-t-il sous silence sa générosité, sa bonté pour les humbles, son mépris pour les grands, les riches, l’injustice et le mensonge ? (…) Au fond ce que chacun lui reproche, c’est sa franchise, son refus d’accepter l’hypocrisie générale qui est ici la règle de conduite”. Amer est un idéaliste. Il est désespéré car le monde dont il rêve n’existe pas et il ne peut pas exister. Pessimiste aussi. Le roman s’ouvre sur le deuil de son suicide. Dahbia a forgé sa forte personnalité dans la pauvreté et la privation affective ; ses parents étaient les plus démunis de la communauté.
Amer est-il son prince charmant ? Rien n’est moins évident. Il lui apparaît qu’Amer ne l’aime pas spécialement, qu’il est bon et généreux, mais sur un plan trop élevé où elle aurait eu trop de peine à monter. Dahbia pense qu’elle ne représentait qu’une simple idée dans la tête de celui qu’elle aime.
L’histoire dure six mois. A la mort de Amer, Dahbia s’enferme pour lire le journal de ce dernier. Ces six mois sont faits d’attente et de souffrances. Il y avait un peu de bonheur, juste un peu. Dahbia regrette déjà car elle ne connaîtra plus jamais ce genre de sentiment durant ce qu’il lui restera à vivre.
Au beau milieu de l’idylle, surgit Mokrane, un homme marié, personnage antipathique et malheureux qui tentera de trouver son bonheur auprès de Dahbia mais sans savoir comment s’y prendre. Il tente de l’embrasser de force un jour qu’il lui ramène un plat de couscous. Dahbia résiste et l’intrus se sauve. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le lien entre ces deux personnage est étrange. Mokrane aime en réalité Dahbia mais il ne peut pas l’épouser en raison de la mauvaise réputation injustement attribuée à deux femmes vivant toutes seules dans un village et ayant auparavant fui leur patelin natal. Dahbia, de son côté, éprouve un sentiment à l’égard de Mokrane, un mélange d’amour et de haine. L’auteur ne nomme pas ce sentiment et laisse au lecteur toute latitude de conjecturer. Est-ce uniquement dans la tête de Mokrane qu’un scénario d’amour réciproque est dessiné ? Un beau jour, Mokrane se marie avec Ouiza, une femme qu’il n’aime pas. En revanche, cette dernière possède tous les critères “kabyles” pour faire une épouse respectable : la famille et l’argent ajouté à un zeste de beauté.
Sans amour, ce mariage est acariâtre cependant. La nuit de noce, décrite par Mouloud Feraoun est un supplice pour les deux conjoints. C’est le visage de Dahbia que voit Mokrane. Quant à Ouiza, elle ne réalise même pas ce qui lui arrive. Des mots violents sont utilisés dans ce passage pour faire état de la psychologie
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